
Ainsi, un mot opaque peut évoquer un concept lui-même transparent, dont on peut déduire un néologisme transparent pour traduire le mot opaque de départ. J'explique : prenons nos mots "briquet" et "allumette", ils n'ont pas de traduction reconnaissable dans les autres langues romanes, mais ils évoquent le verbe latin moderne INFLAMAR, tout à fait clair ; or, de ce verbe on tire INFLAMATOR (avec le suffixe -TOR commun à bien des appareils, comme RADIATOR, EXTINCTOR, CARBURATOR...), ce qui nous fournit le briquet ; et on peut aussi former INFLAMETA (avec le diminutif -ET-), ce qui donne tout aussi logiquement l'allumette. Un peu de réflexion a donc permis de remplacer deux mots obscurs par des néologismes évidents pour tous. De même pour notre "poubelle", dont le préfet initiateur n'a pas pu rayonner hors de la Francophonie ; on cherche un synonyme d'"ordures" compris par tous, c'est IMUNDICIAS, et on en déduit leur récipient adéquat : RECIPIENTE IMUNDICIAL, qui s'abrège forcément en l'adjectif substantivé IMUNDICIAL, traduction latine moderne de notre poubelle.
Autre stratégie d'élimination des rebelles : prendre un mot de sens proche qui a l'avantage d'être largement compris. Par exemple, plutôt que le verbe italo-ibérique COMPRAR, rebelle pour les francophones, il vaut mieux exprimer "acheter" par AQUIRER, clair pour tout le monde (latin). Idem avec certaines parties du corps, dont le nom n'est pas universel alors que l'os qu'elles recouvrent a un nom latin qui l'est ; ainsi, FEMUR pour "cuisse", ROTULA pour "genou", TIBIA pour "jambe" (qui se dit aussi GAMBA), MALEOLO pour "cheville", etc. (avec de telles métonymies, nos détracteurs traiteront juste notre langue de squelettique, mais l'efficacité prime !) Ou encore, pour traduire l'opaque "pourboire" français, il suffit de se dire qu'il s'agit d'une petite GRATIFICATION, qui peut s'abréger en GRATIFICA, mot italien mais transparent pour tous (et en outre, elle peut servir pour autre chose que "pour boire", ce qui concourt à lutter contre l'alcoolisme).
Troisième solution contre les rebelles (pour les objets surtout) : traduire le mot obscur par un assemblage de mots clairs. Ainsi, l'énigmatique "mouchoir" français peut se définir par sa fonction : SECA-NASO ou bien SECA-LACRIMA, selon qu'on l'emploie plus pour sécher le nez ou les larmes. De même pour le "balai", que son étymologie gauloise rend opaque aux autres locuteurs romans : vu qu'il sert surtout à nettoyer le sol, la meilleure façon de le désigner (outre ESCOPA, de l'espagnol "escoba" et de l'italien "scopa") est NETEA-SUOLO (on notera la forme italienne du "sol", visant à éviter les homonymies, SOL étant "seul" ou bien la note de musique, SOLO l'adverbe tiré de "seul" et le terme musical, et SOLE "soleil").
Enfin, une ultime manière de supprimer les rebelles, qui prouve aussi l'ouverture de notre langue sur le monde extérieur : le choix d'un mot non latin mais connu de tous, comme STOPAR pour "arrêter" (un mouvement) (= l'italien "fermare" et l'ibérique "parar"), ou encore POCKET (mot anglais venant de notre pochette) pour désigner la "poche" (= "bolsillo" espagnol, "bolso" portugais et "tasca" italienne).
L'emploi combiné de ces diverses techniques réduit à peu de choses la liste des mots rebelles que chaque usager actif du latin moderne doit apprendre avant de les comprendre (une cinquantaine sur un vocabulaire courant de 5 000). Et cette liste se restreint encore plus pour les usagers passifs, à qui le traducteur donnera une périphrase plus explicite, à qui le comédien montrera le mot par sa gestuelle, et à qui le publicitaire s'adressera sans utiliser le mot rebelle...
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